lundi 28 novembre 2016

Stairway to heaven [B1]

Noir. Tout est noir.
Quelques vers résonnent en moi.

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté » (1)

Je suis en boîte de nuit, au milieu de la foule, à côté de ma bande, mais tout seul.
Nous sommes au moins une vingtaine et je regarde dans le vide en cherchant une contenance.
Pas vraiment dans mon élément, j’ai du mal à être naturel. Je danse peu ; le regard des autres me gênent. Je finis mon verre, c’est la seule chose que je sais bien faire dans ces circonstances.
Quelques verres résonnent en moi.

La musique change, j’entends quelques notes de flûtes et reconnaît immédiatement le tube du moment, issu de la BO de Titanic. Les slows, ce n’est pas un moment évident pour moi. Pas vraiment timide en général, je le suis avec les filles dans ces moments là.

Et là, elle se rapproche de moi et me tend la main.
Elle, c’est la fille à qui je n’osais pas parler quand j’étais au lycée.
La fille parfaite, belle et inaccessible qui passait son temps avec les mecs les plus cool dont je ne faisais manifestement pas partie.
Je n’arrive pas à y croire. Je danse avec elle, contre elle.

« Every night in my dreams
I see you, I feel you
That is how I know you go on «

La douce musique me berce et la voie de Céline Dion m’entraîne.

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté »

Je la sens contre moi.

Est-ce qu’elle trouve que je danse bien ?
Pourquoi moi ?
Par hasard ?
Parce que j’étais là ? Ou bien, mais je n’ose pas y croire, est-elle attirée par moi ?
Tout cela me traverse l’esprit mais elle me ramène à la réalité en se mettant à chanter doucement dans mon oreille.
Elle chante sur la musique.

« Near, far, wherever you are
I believe that the heart does go on
Once more you open the door
And you’re here in my heart
And my heart will go on »

On tourne doucement. Je ne les vois pas mais je sais que ses yeux sont fermés.

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté luxe, calme et volupté »

Et les flûtes reprennent et Céline donne tout.

« We’ll stay forever this way
You are safe in my heart
And my heart will go on and on » (2)

***

Je suis chez mes grands-parents. On joue dans le jardin avec mes cousins. On enchaîne les parties de foot. Je suis au but, entre la balançoire et un arbre.

***

Je suis à table, chez moi, avec des copains. On mange, on boit et on se marre pour un rien. Qu’est-ce que je suis bien.

***

Je couche ma fille de 2 ans. Je la regarde du haut de son lit et lui dit que je l’aime, comme tous les soirs. Elle me répond : « je t’aime papa » pour la première fois. Une larme coule sur ma joue.

***

Je regarde les 12 travaux d'Astérix le jour de Noël. Ça sent la fête, la joie, la paix et la douceur. Il neige dehors.

***

Je révise mon bac sur un transat dans le jardin de mes parents.

***

Je suis en stage et je passe mon temps à écrire des SMS à ma copine. Je pense à elle. Elle pense à moi. Le reste n’est que détails insignifiants. On multiplie les efforts sans effort. La distance nous pousse plus loin encore. Sans trop y penser, je sens que quelque chose d’indestructible se construit.

***

C’est Noël, je suis tout excité. Mes parents nous demandent de tous aller dans la chambre de ma soeur. Nous sautons sur les lits. Je regarde par le trou de la serrure et je vois mon oncle et ma tante les bras remplis de cadeaux.

***

Je rentre du travail. Je zappe entre les stations de radio et je tombe sur une chanson et la voix de cette fille envoutante que je veux prendre dans mes bras.

« Je te demande si tu es une bête féroce ou bien un saint
Mais tu es l’un et l’autre. Et, tellement de choses encore
Tu es infiniment nombreux
Celui qui méprise, celui qui blesse, celui qui aime, celui qui cherche.
Et tous les autres ensembles.
Trompe-toi, sois imprudent, tout n’est pas fragile.
N’attends rien que de toi, parce que tu es sacré. Parce que tu es en vie.
Parce que le plus important n’est pas ce que tu es, mais ce que tu as choisi d’être. » (3)

Je pleure dans ma voiture, de plaisir, de bonheur, de soulagement. J’ai l’impression que d’autres ressentent les mêmes choses que moi et savent les retranscrire au travers de quelque chose de beau, de touchant. La musique me bouscule et me fait sortir de ma vie rangée, pendant quelques minutes.

***

Je me balade dans la forêt avec mes parents dans la fraîcheur de l’automne.

***

Je suis sur le parvis de l’église le jour de mon mariage. Je tiens ma femme par la main devant toute ma famille et mes amis, ému par leur présence. Je suis heureux sans vraiment me rendre compte de ce que je suis en train de vivre.

***

Je vais chez un copain qui me montre sa console Nintendo et me fait découvrir Mario Bros.
Je me dis que si je possédais ce jeu, je serais heureux toute ma vie.

***

Ma femme accouche de mon fils. En une seconde, mon coeur lui fait une place pour toujours.

***

Sur mon lit, je feuillette le catalogue JouéClub en me disant que Noël est encore loin.

***

J’embrasse une fille magnifique que je pensais inaccessible. J’ai été surpris quand j’ai compris que je lui plaisais aussi. Elle est dans mes bras, contre moi et je regarde le miroir sur le mur et je la vois de dos contre moi. Je sens ses cheveux et je l’embrasse. Je suis heureux, amoureux et fier. Mon quotidien disparaît et seul subsiste son image dans le miroir et la douceur de ses lèvres. Je n’ai plus besoin de rien.

***

Mes enfants jouent ensemble. Je les regarde sans me lasser. Ils rient de l’innocence qui ne devrait jamais nous quitter. Il faut faire des enfants pour comprendre que rien n’est meilleur que rire avec ceux que l’on aime.

***

C’est le jour de mon mariage. Je ressens de la peur, la pression de bien faire et l’émotion de passer une étape importante. Je quitte la maison que mes parents ont loué près du lieu du mariage. Je monte dans ma voiture, mon frère s’assoit sur le siège passager.
Je tourne la clé, la radio se met en marche et j’entends :

« Je n’ai pas peur de la route
Faudrait voir, faut qu’on y goûte
Des méandres au creux des reins
Et tout ira bien
Le vent nous portera » (4)

***

Je suis au collège. J’ai des nike air, un sac chevignon et une montre casio. Je traîne dans les couloirs. Je suis le roi du monde.

***

Je me suis fait larguer. Je bois de la vodka devant mon miroir en écoutant Thiéfaine.

***

Je viens de me faire opérer de l’appendicite. Je suis à l’hôpital pendant une semaine, seul, sans mes parents qui viennent me voir quand ils le peuvent. Mon père passe après le travail et m’improvise un spectacle de marionnette avec mon singe en peluche. Je ris, je vois les efforts que fait mon père pour me distraire. J’aime mon papa.

***

Je regarde ma femme dormir, sur le ventre, les bras repliés sous la poitrine et les poings serrés collés à son menton. Je la regarde, je ne pense à rien. La vie est douce et éternelle.

***

Des visages de filles que j’ai aimé. Un instant ou des années sans jamais leur en parler. Des sourires, des petites phrases mais rien du tout. Le mystère est toujours là et je reste amoureux de ses filles que j’ai croisé sans m’arrêter.

***

Je joue avec mes frères et sœurs. On se prend pour les tortues ninja. Je suis Raphaël.

***

J’ai vingt ans aujourd’hui. Mon anniversaire, je l’ai déjà fêté le mois dernier avec 40 potes mais ce soir je suis seul. Je sors me balader dans la nuit pour écouter la chanson de Ferré la plus adaptée. Je fume une cigarette en me disant que je passe une étape qui ne signifie rien.

« Pour tout bagage on a vingt ans
On a des réserves de printemps
Qu’on jetterait comme des miettes de pain
A des oiseaux sur le chemin
Quand on aime c’est jusqu’à la mort
On meurt souvent et puis l’on sort
On va griller une cigarette
L’amour ça se prend et puis ça se jette » (5)

***

On roule dans la nuit. Mon père conduit. Le cd de Queen dans l'autoradio.
Il fait nuit, je me laisse bercer les yeux fermés.

"My soul is painted like the wings of butterflies
Fairy tales of yesterday will grow but never die
I can fly, my friends
The show must go on
The show must go on” (6)

***

Je suis à la maternité, ma fille vient de naître et ma femme la prend dans ses bras. L’infirmière la nettoie rapidement et me la confie pour que j’aille l’habiller pour la première fois. Mes gestes sont prudents à l’extrême. Elle est précieuse et fragile à mes yeux. Si petite, elle remplit un vide dont j’ignorais jusqu’à présent l’existence.

***

Il est 4 heures du matin, je suis sur une terrasse après une soirée. On refait le monde un verre à la main.

***

Je m’enfuis dans la cour de récréation de mon école maternelle.
Ma mère me suit, sans courir elle tente de me rattraper. La maîtresse se tient debout devant sa classe et me regarde vaguement.
Je cours toujours en direction de l’espace de jeu et me réfugie derrière le tourniquet.
Ma mère me rejoint ; la maîtresse continue de nous regarder fixement, impassible.
« très bien, tu as gagné, tu n’iras pas en CP l’année prochaine » dit maman
« tu as compris, tu restes avec tes copains, tu ne sautes pas une classe, tu iras chez les grands l’année prochaine, c'est fini, c’est fini, ne pleure plus » ajoute-t-elle d’une voix rassurante en me serrant fort dans ses bras.

***

Je suis sur un banc avec ma première copine. Je suis fier. J’ai peur. C’est maladroit et tendre. Je vis l’instant, comme en dehors du temps, dans un monde parallèle où rien n’existe à part elle. Je suis heureux.

***

Je suis étudiant. J’écoute Stairway to heaven dans ma petite chambre. Il fait nuit.
Un café sur la table et des feuilles volantes qui recouvrent mes livres.

« There’s a lady who’s sure
All that glitters is gold
And she’s buying a stairway to heaven. » (7)

Je regarde par la fenêtre et je fixe une cabine téléphonique perdue dans la nuit.

***

Tout devient flou. Puis, tout devient noir. Je vois une lumière au loin. J’avance doucement, très doucement. Je ne pense à rien. J’avance sereinement, marchand droit devant moi.
J’entends un léger bruit de fond, imperceptible derrière moi. Je tends l’oreille, puis me retourne doucement, laissant la petite lumière blanche dans mon dos.
Des images défilent devant moi, comme des cartes postales qui se plaquent contre mon visage puis disparaissent. Je revois ma femme, ma fille, mon fils, mes parents. J’avance faisant toujours dos à la lumière, suivant la direction dont me semble venir le son. Mes pas sont lourds et j’entends de moins en moins distinctement. Je m’enfonce. Le noir qui m’entoure devient de plus en plus noir. Je me mets à courir sans m’arrêter. Je connais cette voix et je ne veux pas qu’elle disparaisse. Je sprinte, je sens mon coeur battre de nouveau. Et, d’un seul coup, le mur se brise et j’entends : « Je t’aime papa ».
J’ouvre les yeux.


1.   Charles Baudelaire, L’invitation au voyage
2.   Céline Dion, My heart will go on*
3.   Fauve, Blizzard
4.   Noir Désir, Le vent nous portera
5.   Léo Férré, Vingt ans
6.   Queen, The show must go on
7.   Led Zeppelin, Stairway to heaven

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