lundi 6 février 2017

Moins une [B11]

15h11
Je suis au bureau, en réunion. Mon portable sonne, c’est ma femme.
En général, je ne réponds pas mais, exceptionnellement, je demande à ma collègue de m’excuser et décroche.
Elle m’explique que la crèche a appelé, mon fils n’est pas bien, il s’est réveillé de la sieste en pleurant et n’est pas en forme. Il faudrait aller le chercher si possible.
  • “Je suis en réunion, je peux te rappeler à 16h et on voit ensemble comment on gère ?
  • Pas de souci, ce n’est pas grave, il n’a pas de fièvre, c’est juste qu’il est fatigué et qu’il serait mieux à la maison”, me réponds ma femme.
  • “Ok, je te rappelle à 16h sans faute”, dis-je pour clôturer l’appel
Je m’excuse auprès de ma collègue et reprends le fil de notre discussion.

16h00
Je respecte, pour une fois, mon engagement et rappelle ma femme.
Elle m’explique que ce n’est pas si pressé. Idéalement, il faudrait que je passe le chercher plus tôt que d’habitude mais il n’y a pas d’urgence.
D’ordinaire, je serais resté au travail ; mais, cette fois, j’ai envie de voir mon fils.
Je l’imagine un peu malade, un peu triste et je veux le prendre dans mes bras.
Je quitte le travail discrètement en ne disant au revoir à personne.

16h20
Je suis en voiture et me sens un peu coupable d’avoir quitté le travail si tôt, d’avoir, en quelque sorte, abandonné mes collègues. Je me gare sur le trottoir, devant la crèche, en warning.

16h23
Je récupère mon fils, il est ronchon et semble un peu fatigué. On me fait le debrief de la journée. On m’explique qu’on ne sait pas ce qu’il a, qu’il faudrait peut être consulter un médecin.
Je lui mets ses chaussures, il ne veut pas les mettre. Je lui mets son pull, il se débat. Après deux minutes de rébellion, je parviens enfin à lui remonter la fermeture éclair de son manteau.

16h29
Je sors de la crèche avec mon fils dans les bras. Il se blottit contre moi. Je l’embrasse dans les cheveux tout en rejoignant la voiture. Il me parle dans son langage que je ne comprends pas ; je lui réponds que je l’aime, que je vais m’occuper de lui, le soigner et qu’il ira mieux demain.
Je l’attache dans son siège ; étonnement, il se laisse faire. Je monte dans la voiture. Je m’attache, à mon tour puis démarre.
En passant la marche arrière, je jette machinalement un coup d’oeil dans mon rétro. Personne derrière moi mais, un peu plus loin, je vois deux hommes en treillis noir, comme une impression fugace qui dure un dixième de seconde puis disparaît. D’ailleurs, quand je regarde de nouveau dans le rétro pour faire une nouvelle marche arrière, il n’y a plus personne devant l’entrée de la crèche. Après plusieurs manoeuvres, je parviens enfin à sortir de ma place. Je fais quelques mètres et, au moment où j’éteins les warning que j’avais oublié, au moment même où j’appuie sur le bouton avec le triangle rouge, j’entends un bruit de fusil automatique.
Mon coeur s’arrête, je baisse le rétro intérieur pour voir mon fils, pour vérifier s’il est bien là avec moi. Je croise ses yeux. J'accélère au moment où une seconde salve retentit.

2 commentaires:

  1. Un temps qui s'écoule implacablement en des tâches banales décrites simplement. La fin par un simple regard est parfaite pour laisser le récit en suspend. andre48

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