lundi 12 décembre 2016

SynSyn [B3]

Paris, décembre 2036

Je descends dans une bouche de métro en me laissant glisser sur le tapis roulant.
Je retire mon masque anti-particules fines et le range dans mon sac à dos.
L’heure de pointe. Je double, on me double. Un couple qui se tient par la main, pour ne pas se perdre dans la foule, me bouscule.
Je passe le sas d’entrée. Ma montre émet un bip et s’illumine en rouge. Mon compte bancaire est à découvert. Les 4,90 euros ont pu être prélevés puisque le sas s’est ouvert mais ils ont creusé encore davantage mon découvert.
Je suis les panneaux de la ligne  25, qui clignotent sous mes pieds.
J’attends une minute en regardant les murs publicitaires, d’un oeil abattu. Impossible d’y échapper. Sans eux, le prix du ticket serait à 10 euros  alors personne n’y trouve rien à redire. Les portes s’ouvrent. On s’entasse.


Je fais comme d’habitude, je regarde les gens. Chacun sur son portable ou sa tablette. Celui qui n’a ni l’un ni l’autre sous les yeux est un marginal.
Mon regard se fixe sur une fille, plutôt jolie, penchée sur son téléphone. Elle tape frénétiquement. Je me demande à qui elle écrit. Elle lève les yeux dans ma direction. Je les baisse.
Les arrêts s’enchaînent. Les gens descendent d’autres montent. Je prie à chaque arrêt pour que la fille ne parte pas, mais c’est moi qui finit par la quitter, non sans lui avoir jeté un dernier regard.
Je longe les couloirs jusqu'à trouver la bonne sortie, la plus proche du lieu de rendez-vous. Je cherche toujours à rester le plus longtemps possible dans le métro. C’est moins pollué qu’à la surface.

Je sors. La fraîcheur me réveille mais, à la première inspiration, je me sens oppressé. Je sors mon masque et referme mon sac à dos.
Je suis asthmatique depuis l’enfance, comme la majorité des garçons de mon âge.
Je traverse en dehors des clous, forçant les voitures autonomes à s’arrêter sur mon passage.
Après 2 ou 3 minutes de marche et quelques hésitations, je trouve enfin l’impasse en question. Je sonne au 4 bis, appartement 427. Je regarde la caméra. Clic. La porte s’ouvre.
Je rentre. Je prends les escaliers. Il n’y a plus que dans ces vieux quartiers de Paris que les immeubles sans ascenseur existent encore.
J’arrive essoufflé au deuxième étage. Je frappe.

Ryan entrouvre la porte, me regarde, observe derrière moi pendant de longues secondes, ferme la porte. J’entends le bruit de la chaîne qui tombe. Ryan m’accueille avec le sourire.
Je rentre. Une pièce unique, des ordinateurs et un matelas par terre.
Nous échangeons des banalités pendant quelques minutes puis il se lance.
“Cette semaine, j’ai de la Dugarry12061998, me dit-il, tenant entre ses doigts un stylo-seringue.”
“Je te fais le speech, Ryan récite son discours commercial
- En 1998, la coupe du monde de foot a lieu en France. Christophe Dugarry est un attaquant connu mais mal-aimé par les supporteurs. Sa sélection en équipe de France est extrêmement critiqué, dans les mois qui précédent la coupe du monde.
A l’époque, tu ne pouvais pas ouvrir un journal sans qu’il s’y fasse descendre, ajoute-t-il avec conviction.”
Son nom ne me dit rien. J’ai entendu parler de France 98 mais je ne m’intéresse pas au foot. Je regarde dubitativement le stylo-seringue.
“Tu ne pouvais pas ouvrir un journal sans qu’il s’y fasse descendre, répète Ryan. L’entraîneur le sélectionne malgré tout. Il commence la coupe du monde avec la pression, sachant que toute la france l’attend au tournant et n’espère que son échec, qui viendra confirmer ce que chacun pense de lui.
12 juillet 1998, France - Afrique du Sud, le premier match.
Dugarry rentre à la 26e minute pour remplacer un attaquant blessé.
28e minute, il loupe une belle occasion puis, deux minutes plus tard, perd bêtement le ballon en défense. Rien ne fonctionne pour lui.
A la 38e minute, corner pour la France, Zidane va le tirer. Dugarry est dans la surface.”
Ryan s’arrête quelques secondes pour faire monter la pression, puis reprend.
“Zidane frappe le corner. Dugarry saute et parvient à frapper le ballon de l’arrière du crâne. Il marque. Il court, lève les bras au ciel et tire la langue en signe de revanche à destination de tout ceux qui ne croyaient pas en lui.”
Ryan s’arrête encore dans son monologue et me regarde. Il doit comprendre que je ne connais rien au foot.
“Imagine, ce qui lui traverse l’esprit à ce moment là, insiste-t-il en faisant tourner le stylo-seringue sous mes yeux”
“Imagine, cette joie, ce soulagement, cette revanche. Il est le premier buteur de l’équipe de France. Tout le monde avait tort. Il a marqué. Il a marqué pendant la coupe du monde, en France ! C’est de la bombe, conclut-il en brandissant de nouveau le stylo-seringue.
Il me regarde. Je suis moyennement convaincu mais curieux tout de même. De toute façon, il me faut quelque chose ce soir et Ryan n’a que ça.
“Ok, je te le prends, finis-je par dire

- Tu ne vas pas le regretter. Dugarry l’a fait faire pour lui, pour se remémorer cet instant et en garder un souvenir intact. Il paraît qu’il ne s’en lasse pas, ajoute Ryan”.

2 commentaires:

  1. La suite de la nouvelle la semaine prochaine.
    Bonne lecture !

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  2. J'aime le côté futuriste de la nouvelle. Il faudrait creuser ce thème.

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