lundi 2 janvier 2017

Sweet [B6]

6h35

J’ouvre lentement les yeux. Mon réveil simulateur d’aube émet une douce lumière.
Je me retourne dans le lit et referme les paupières. Je ne me rendors pas, je pense à mon entretien. L’enjeu est énorme. J’imagine la scène à venir. Je répète mes arguments et prépare les questions qui pourraient m’être posée : pourquoi je me sens prêt à prendre de nouvelles responsabilités, ce que je pense pouvoir apporter...


6h45

La lumière est de plus en plus forte et me force à ouvrir les yeux. La sonnerie qui imite le bruit des oiseaux m’agace, comme tous les matins. J’appuie sur la touche snooze et je me retourne, les yeux toujours ouverts. La place à ma gauche est libre. Ma femme et mes enfants sont en vacances chez mes beaux-parents pour 4 jours, je les rejoins demain, après avoir passé mon entretien.

6h55

Je me lève. La lumière s'allume doucement dans ma chambre et dans le salon.
“Bonjour Erwin” me dit une voix synthétique venue du salon.
“Bonjour Sweet” dis-je, la voix caverneuse.
Je marche vers la salle de bains, les ampoules s’allument sur mon passage et les volets roulants s’ouvrent.
Quand je rentre sous la douche, j’entends la cafetière qui se met à couler.
“La température est de 2 degrés ce matin, il faut prévoir de dégivrer la voiture. Cet après-midi, la température moyenne sera de 8 degrés” m’annonce Sweet avant de lancer ma radio d’info.

7h08

Je sors de la douche. Je me sers une tasse de café pendant que mes tartines sortent du grille-pain. La télé de la cuisine s’allume quand je m’assoie.
“Si vous me le permettez, je me propose de lancer une commande, le frigo est presque vide.
Il ne vous reste plus que 2 yaourts et vous n’avez plus de lait alors que les enfants rentrent dimanche soir, m’annonce Sweet”.
“Bonne idée Sweet, je confirme”, répondis-je en posant mon doigt sur mon portable pour valider la commande.

7h20

Je débarrasse la table, me lave les dents et me dirige vers la chambre pour aller m'habiller.
“ Sweet, tu ne m’as pas préparé mon costume gris ?
- La penderie ne répond plus
- Tu peux retenter ? Tu aurais pu me prévenir avant !
- J’essaye depuis 10 minutes sans succès, me répond Sweet laconique.
- Pourquoi aujourd'hui ?, répondis-je en tentant d’ouvrir la porte”

Bloquée. Je force mais rien n'y fait. Je réfléchis. Comment ouvrir cette satanée porte ?
Je me décide à demander de l'aide en reposant ma question à voix haute.
“ Comment ouvrir cette satanée porte ?
- Avec ce que vous avez à la cave, un tournevis et un marteau mais je vous le déconseille. La porte serait irrécupérable et le système de mise à disposition des vêtements serait endommagé, me répond Sweet avec un ton de reproche.”
J’abandonne l'idée car le temps passe et je ne peux pas être en retard. En plus, il me faut dégivrer la voiture.

7h26

Je cours à la buanderie récupérer une chemise.
Aucune chemise à repasser ; elles sont toutes dans la machine à essorer. Avant de l'ouvrir, j'ai un mauvais présentement, à juste titre. Bloquée.
“Sweet, c'est quoi ce bordel ?
- Je suis désolée, aucune idée, je n'ai pas la main, me répond la voix, indifférente.”

Je cours dans les combles, ouvre deux cartons et récupère un vieux costume et une vieille chemise. Je retourne à la buanderie pour repasser la chemise en me disant que je suis maudis. Tout bug le jour de cet entretien capital.
Je branche le fer à repasser. Il ne s’allume pas.
Je ne pose même pas la question à Sweet. Je cherche une autre prise. La lumière du fer s'allume en rouge 1 seconde puis s'éteint. Je rumine.
“Je ne comprends pas, les dysfonctionnements s'accumulent, m'annonce Sweet, avant d’ajouter avec un peu d'empathie, désolé Erwin”
Je tente de repasser la chemise avec le fer froid. Cela ne marche pas mais je décide de m'en contenter.

7h38

Je m’habille et me regarde dans la glace. Je ressemble à quelqu'un qui a dormi dans sa voiture et a remis les mêmes fringues.
Je suis hors de moi. Pourquoi aujourd'hui ? Pourquoi ?

7h43

Je prends les clés de la voiture, ma sacoche et dévale les escaliers en criant énervé :
“ On reparlera de tout ca Sweet, c'est inadmissible. Je te laisse voir avec le service après vente. Si tout n'est pas ok ce soir, je te réinitialise.
- Désolé, me répond Sweet attristée”.
J'entends la porte d’entrée se verrouiller au moment où je pose la main sur la poignée.
Bloquée. Je panique, je cours vers la baie vitrée du salon qui donne sur le jardin. Bloquée. Je suis emprisonné.

7h45

Furax, je saisis une chaise et la jette de toutes mes forces contre la vitre. La chaise rebondie mais une légère fissure est apparue. Les volets se baissent dans tous les pièces. Je prends mon téléphone dans ma poche. L'écran est verrouillé et indique : “vous avez saisi 5 fois un mot de passe erroné, vous pourrez retenter dans 1h”. Je jette mon portable.
Je me tourne vers le boîtier domotique et implore :
“Pourquoi Sweet ? Pourquoi ? Pourquoi aujourd'hui ? Tu m’en veux ?”
Pas de réponse.
Je débranche la prise du boîtier.
“ Pourquoi, pourquoi, pourquoi ?, cries-je en secouant la boîte en forme de maison qui se met à clignoter en rouge.


7h48

Je cours à la cave et remonte avec le tournevis.
Je commence à dévisser la batterie de Sweet.
“ Cela ne changera rien Erwin, tout restera bloqué.
- Mais pourquoi fais tu ça ?,  répondis-je d’une voix plus abattue que colérique. Tu veux ma mort ?
- Justement non, je veux votre bien à tous, c'est ma raison d être.
- Et bien ? Justement, cet entretien que je suis en train de louper est capital pour toute la famille”
Sweet ne répond plus
- Tu as peur pour toi, c'est ça ? Mais je te déménagerai à Lyon, ce n'est pas un problème ; cela ne changera rien. Tu seras toujours avec nous.
- Ce n'est pas moi le problème. Je  ne suis programmée que pour m’occuper de vous.
- Explique moi alors, dis-je d’un ton autoritaire.

7h52

Sweet allume la lumière du canapé et éteint celle de la cuisine. Je comprends le message et vais m'asseoir.
“Je vais te dire la vérité . À part toi, personne ne veut déménager . Hugo pleure tous les soirs dans son lit. Il ne veut pas perdre ses copains. Chloé n'arrive plus à se concentrer sur ses devoirs et cumule les mauvaises notes depuis que tu as évoqué le déménagement. Et Marion, qui t’a toujours dit qu'elle voulait ton bonheur et qu’elle te suivrait partout, passe toutes ses conversations téléphoniques à expliquer à ses copines et à sa mère qu'elle se rend compte qu'elle va le regretter, que tout le monde va lui manquer et qu'elle aura des difficultés à trouver un nouvel emploi.”


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